Source d’une pénibilité particulière, le travail de nuit reste une réalité et, dans certains secteurs, une réelle nécessité. Mais quoiqu’ils fassent, les êtres humains ne seront jamais des rapaces nocturnes (chouettes, chauves souris…). Le travail de nuit suppose que l’on travaille à un moment où le corps humain a envie de (et doit) se reposer. Le travail de nuit bouleverse donc les rythmes biologiques et met en opposition les horaires professionnels et socio-familiaux. Un grand écart qui ne manque pas d’avoir un impact sur la santé des travailleuses et travailleurs.
Incompatibilités (bio) rythmiques
L’horloge circadienne (notre rythme biologique étalé sur 24 heures) est déréglée, un bouleversement qui suscite des problèmes médicaux chez la majorité des travailleurs et travailleuses de nuit. On a longtemps cru, sans preuve, que le travailleur de nuit inversait rapidement ses biorythmes (rythme cardiaque, température, digestion, sécrétions, appétit, etc.) pour faire coïncider activation biologique et emploi nocturne. On sait maintenant qu’il n’en est rien: un travail de nuit de courte durée (deux ou trois jours) n’influence presque pas les biorythmes. Un travail de nuit prolongé ne provoque pas non plus d’inversion véritable des biorythmes, mais seulement une atténuation de l’amplitude de certains rythmes. Cela peut s’expliquer par l’influence contradictoire exercée par les horaires professionnels, d’une part et les rythmes socio-familiaux qui d’autre part opposent une résistance farouche à ces perturbations. Ainsi, certains rythmes, comme la fréquence cardiaque, cèdent à l’entraînement des horaires nocturnes tandis que d’autres, comme la sécrétion des sucs digestifs, continuent de se synchroniser sur les horaires socio-familiaux. D’autres rythmes, telle la température centrale, occupent une position intermédiaire et se modifient au bout de quatre ou cinq jours. Le clivage qui s’opère entre les biorythmes du travailleur de nuit empêche son organisme de s’adapter complètement à l’horaire nocturne… quoi qu’ils fassent, la plupart des êtres humains ne seront jamais de véritables chouettes ! L’âge, ainsi que la situation matérielle du travailleur, influent aussi sur les capacités d’adaptation.
Troubles de sommeil
Les travailleurs de nuit rencontrent quasiment tous des problèmes dans leur sommeil. Il ne suffit pas de travailler durement toutes ses nuits pour s’endormir comme un loir au petit matin…
Premier problème: lorsque le travailleur rentre chez lui, la lumière du jour envoie un signal à son organisme et renforce la tendance naturelle de son horloge circadienne à le réveiller. Viennent ensuite tous les problèmes liés à l’activité du reste de la société: circulation, enfants qui jouent, sonnerie du téléphone, etc. Le rythme de la faim interfère lui aussi avec celui du sommeil, si bien que celui-ci est souvent interrompu à midi par une prise d’aliments pour reprendre parfois plus tard sous forme de siestes. La fatigue mentale est donc moins bien récupérée: le sommeil paradoxal, celui où l’on rêve, est plus court. Il survient plus rapidement après l’endormissement que dans le cas du sommeil nocturne, mais il se trouve interrompu en fin de matinée par la réactivation des rythmes biologiques. En moyenne, on estime qu’un travailleur de nuit dort entre une et deux heures en moins par rapport à un travailleur diurne. Sa fatigue est encore accentuée par le fait que travailler lorsque l’organisme est en période de désactivation demande plus d’efforts qu’une même activité en journée.
Alimentation inadaptée
Après les problèmes de sommeil, les troubles gastro-intestinaux sont les symptômes les plus fréquemment décrits par les travailleurs postés 1: troubles de l’appétit, constipation, brûlures d’estomac, diarrhée, douleurs abdominales, borborygmes (gargouillements), etc. A plus long terme, de nombreux travailleurs postés sont susceptibles de souffrir de maladies graves, telles que gastrites chroniques, gastro-duodénites, colites et ulcères gastro-duodénaux. Selon différentes estimations, ces derniers seraient de deux à huit fois plus fréquents chez les travailleurs de nuit que chez leurs collègues employés la journée. Il y a une explication à tous ces maux: le repas de nuit, absorbé à un moment de désactivation nocturne des secrétions gastriques, est souvent pris froid, en triple vitesse et sans appétit. Cette absence d’appétit incite le travailleur à l’accompagner d’épices et d’excitants comme le café ou l’alcool, agressifs pour la muqueuse gastrique non protégée. Comme les cantines ne sont généralement pas ouvertes la nuit, il vaudrait mieux que le travailleur s’arrange pour prendre ses deux principaux repas à la maison.
Le stress lié au travail de nuit ou posté peut aussi avoir des conséquences néfastes sur le système cardiovasculaire, comme l’ont montré plusieurs études épidémiologiques ces dernières années. La réaction ou l’absence de réaction neurovégétative provoque une réponse hormonale accrue, ce qui entraîne des répercussions pour ce qui est de la pression sanguine, du rythme cardiaque, des processus thrombotiques et du métabolisme des lipides et du glucose. Il est toutefois difficile d’isoler le travail de nuit comme facteur de risque pour les maladies cardiovasculaires, d’autant que l’activité nocturne amène souvent à cumuler d’autres risques, comme un plus haut degré de tabagisme, les troubles du sommeil ou les problèmes psychologiques. Ceux-ci semblent plus fréquents chez les travailleurs de nuit et peuvent être liés en partie à la perte du sommeil et à la fatigue chronique. Nervosité, anxiété, asthénie, dépression, agressivité sont aussi plus courants chez les travailleurs de nuit permanents que chez ceux en horaires alternants. Le manque de sommeil réparateur tend par ailleurs à accroître les effets de l’âge. Selon un médecin du travail spécialisé dans le travail de nuit, le travail de nuit est synonyme de « vieillissement prématuré à tous les niveaux ». En effet, les personnes qui ont travaillé pendant plus de 20 ans la nuit affichent un vieillissement plus rapide de 5 à 7 ans en moyenne. Cela se remarque à l’œil nu, notamment sur la peau.
Sécurité sociale indifférente
Etant donné les problèmes de santé que peut engendrer plus fréquemment le travail de nuit, on pourrait penser que les salariés employés la nuit seraient plus souvent en congé de maladie que leurs collègues de jour. En pratique, ce n’est pas le cas: on ne constate pas de différence quant à la fréquence des maladies entre travailleurs de nuit et de jour. Cela pourrait être dû à une plus grande solidarité entre le personnel de nuit, ou au fait que le travailleur de nuit considère ses symptômes comme «inhérents» à son activité là où son collègue de jour appellera plus vite un médecin. En ce qui concerne les accidents de travail, aucune statistique ne tend à prouver qu’ils sont plus nombreux la nuit. Mais par expérience, les médecins du travail constatent que les accidents de travail nocturnes ont souvent des conséquences plus graves que les autres. C’est notamment dû au fait que le travailleur est plus isolé en cas d’incident. C’est également au cœur de la nuit, lorsque le travailleur est le plus fatigué, qu’il est le plus sensible aux maladies chroniques. En effet, les travailleurs qui ont des problèmes de santé chroniques (asthme, spasmophilie, hypoglycémie, etc.) vont les développer plus fréquemment au beau milieu de la nuit, entre 2 et 5 heures.
Sécheresse sociale
L’un des problèmes les plus fréquemment formulés par les travailleurs postés (organisé en équipes successives et impliquant régulièrement des horaires de nuit) est le décalage familial et social qu’ils subissent. Celui qui travaille la nuit et dort le jour éprouve des difficultés à trouver du temps pour son conjoint, sa famille et ses amis. Une enquête réalisée dans l’industrie sidérurgique britannique indique que 40% des travailleurs postés se plaignent de ne pas avoir suffisamment de temps à passer avec leur épouse. Aux Etats-Unis, une autre étude a montré que le travail posté contribue à augmenter les risques de divorce de 7% à 11%. Les heures passées en famille sont moins nombreuses et, souvent, de moindre qualité en raison de l’irritabilité accrue de beaucoup de travailleurs de nuit. Viennent ensuite les obstacles rencontrés concernant la vie sexuelle. Un ouvrier sidérurgiste britannique sur deux travaillant en en équipes de huit heures (02h à 10h, 10h à 18h et 18h à 02h) décrit les périodes d’équipe de nuit comme «asexuées»!
Le travail de nuit en alternance entrave aussi les activités de type collectif, qu’il s’agisse de sport, d’accès à la culture, d’action politique, syndicale, etc. Le travailleur posté ne peut s’y adonner de façon régulière. De ce fait, on constate que les travailleurs de nuit ont souvent moins d’amis. Certains vivent très mal cette situation, ils se sentent exclus de la société et demandent à retrouver un emploi diurne, quitte à perdre certains avantages financiers.
D’autres, de tempérament plus solitaire, consacrent leur temps libre à des loisirs individuels, plus faciles à organiser: jardinage, bricolage, vélo, etc. Rares sont en tous cas les travailleurs de nuit qui imaginaient toutes les conséquences sociales, familiales ou médicales de l’emploi nocturne avant de les vivre. Cela dit, il n’est pas toujours facile de convaincre un individu d’arrêter le travail nocturne, malgré les risques pour la santé: la surveillance de la hiérarchie est moins stricte durant la nuit, le sentiment de camaraderie entre collègues est souvent plus grand, il y a parfois des jours de congé supplémentaires, plus de temps pour s’occuper des enfants ou pour accéder aux services ouverts exclusivement la journée. Il reste également une longue série d’activités qui ne peuvent s’arrêter la nuit, soit parce qu’elles sont indispensables à la société, soit parce que le coût financier serait vraiment trop élevé: services d’urgence, police, hauts fourneaux, fonderies, etc. Se pose dès lors la question de comment organiser au mieux le travail de nuit dans l’intérêt de la santé du travailleur. Les études menées jusqu’ici tendent à suggérer une série de conseils, afin de limiter au maximum les dégâts pour la santé des travailleurs nocturnes.
Quelques conseils pour améliorer le travail de nuit :
• Il doit résulter d’un choix personnel.
• Se reposer au lit durant au moins 6 à 7 heures, même si on ne dort pas tout ce temps. Encore faire une bonne sieste l’après-midi.
• S’organiser pour dormir dans de bonnes conditions: enlever la prise du téléphone ou brancher le répondeur, débrancher la sonnette ou mettre un papier sur la porte, occulter suffisamment la chambre, mettre des bouchons dans ses oreilles, etc.
• Prendre un repas chaud deux ou trois heures après le lever, avant de commencer le service de nuit, vers 18 heures par exemple. Prendre le repas si possible tous les jours à la même heure. Après la fin du service, ne pas prendre de repas copieux avant de dormir.
• Entretenir des rapports sociaux: essayer d’adapter son emploi du temps à celui de sa famille, de prendre un repas en commun avec ses proches, d’avoir des contacts avec d’autres travailleurs de nuit durant ses loisirs
• Privilégier les cycles courts: ne pas travailler durant six ou sept nuits successives mais de préférence trois, maximum quatre. Le déficit de sommeil a tendance à s’accumuler après plusieurs postes de nuit successifs, tandis que les rotations rapides de poste permettent de varier les horaires de repos et de préserver les contacts sociaux. L’organisme vit ainsi plus souvent dans son état normal, avec des conséquences moins néfastes en termes de fatigue et sur la santé.
Notis©2013
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