La relation ambiguë
La relation entre les artistes (musiciens noirs) et producteurs (propriétaires du matériel de production musicale) était (et continue à être) douce-amère, déséquilibrée et, finalement, pas si différente de l’environnement des mines de charbon dans lequel Sonny Clark est né et a grandi.
Dans son livre phare de 1966, « Four Lives in the Bebop Business » (republié en 2004 sous le titre Four Jazz Lives), le poète et historien afro-américain, AB Spellman, cite le saxophoniste Jackie McLean, à propos d’un contrat d’enregistrement injuste que le musicien aurait accepté alors qu’il était accro à l’héroïne : « affamé je l’étais quand j’ai signé ce contrat. Mon état n’a pas aidé non plus à y voir plus clair. Les maisons de disques étaient conscientes des problèmes auxquels nous, les musiciens, en particulier, et notre communauté, en général, étions inexorablement confrontés… »
De fait, les maisons de disques entretenaient une écurie de toxicomanes. Ces derniers consommaient toujours plus de drogue et empruntaient toujours plus d’argent. Le seul moyen de rembourser leurs dettes était d’entrer dans un studio d’enregistrement. Il y laissait leur talent, leur corps et leur âme. Ils en sortaient possédés, presque dépossédés. Mais il est difficile de défendre un accro à la drogue dure, car certains labels ont fait de leur mieux pour les sortir du pétrin.
Ce n’est un secret pour personne que l’histoire du jazz est pleine d’autodestruction. Un rapide aperçu de la durée de vie de certains des compagnons de Sonny Clark est révélateur : le saxophoniste Hank Mobley est décédé à l’âge de cinquante-cinq ans, le saxophoniste Tina Brooks à quarante-deux ans, le trompettiste Lee Morgan à trente-trois ans, le saxophoniste John Coltrane à quarante ans, le saxophoniste Serge Chaloff à trente-trois ans, le bassiste Paul Chambers à trente-trois ans, le saxophoniste Eric Dolphy à trente-quatre ans, le guitariste Grant Green à quarante-trois ans, le bassiste Doug Watkins à vingt-sept ans, le saxophoniste Ike Québec à quarante-quatre ans, le bassiste Wilbur Ware à cinquante-six ans, le tromboniste Frank Rosolino à cinquante-deux, et ainsi de suite.