Le hard Bop est, en résumé, la simplification du bebop, une infusion de blues à la place d’une certaine complexité harmonique du be-bop. Le résultat est un paradoxe musical : d’une part, une partie de la musique (soutenue par Blakey et Silver) tendait vers la popularité, sans compromis musical ; d’autre part, les simplifications ont ouvert un espace musical nouveau et plus libre pour les solistes, tirant d’autres hard-boppers (comme Davis et Jackie McLean) dans le sens de l’avant-garde et du free jazz. La carrière de Morgan se déplaça dans les deux directions – il jouait souvent avec Blakey – et il jouait fréquemment avec McLean, ainsi qu’avec Bobby Hutcherson, Andrew Hill et d’autres personnalités progressistes des années 1960. Ces deux tendances sont représentées sur les plages proposées dans le documentaire, parfois dans une même performance.
Bordé de blues et agrémenté de cette qualité insaisissable appelée swing, le film fait une utilisation généreuse et judicieuse des enregistrements de Lee Morgan. La rareté des clips et des fichiers audio de la voix de Morgan est compensée par des photographies en noir et blanc tirées du catalogue immortel de Blue Note.
« Je l’ai appelé Morgan » donne le sentiment que ce qui s’est passé dans la nuit du 18-19 février 1972 est aussi simple que mystérieux qu’un meurtre. Ce qui s’est passé cette nuit-là est à la fois un terrible accident et une véritable tragédie. Il est surprenant de constater à quel point Lee Morgan était jeune – 32 ou 33 ans- un destin communautaire (Charlie Parker, Cliffort Brown, Eric Dolphy, Booker Little, John Coltrane… sont morts jeunes). Mais l’art, et c’est le message principale de ce documentaire, a ceci de magnifique: il élargit la portée de la vie en distillant à l’infini aussi bien sa douleur que sa beauté.