L’expression « développement durable » est la traduction la plus courante de sustainable development. Elle introduit de façon plus explicite la notion de durabilité que la traduction littérale, « développement soutenable », de l’expression anglaise. Mais qui pense durable a les yeux tournés vers l’avenir. Or, c’est dès aujourd’hui que se tisse cet avenir et qu’il faut prendre en compte les conséquences de la détérioration de notre environnement et les premières alertes, plus ou moins visibles selon les régions, du réchauffement climatique (sécheresses et incendies, inondations, tempêtes…).
Une action précoce sera infiniment moins coûteuse, à tous les niveaux (que l’on considère l’économie, la société ou l’environnement, les trois composantes du développement durable) que le laisser-faire, comme l’a avancé Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, dans son rapport Les Aspects économiques du réchauffement climatique. Nicholas Stern a en effet déterminé qu’il faudrait consacrer 200 milliards de livres chaque année (soit 1 % du PIB mondial) pour stabiliser le taux de CO2 atmosphérique à un niveau maximal de 550 ppm1. De plus, cette somme devrait s’accroître à mesure qu’augmente le PIB mondial, pour être possiblement multipliée par trois ou quatre d’ici à 2050…
Le paradoxe du « développement »
La notion de développement est aussi à considérer. Elle recouvre un champ plus large que la croissance (augmentation des richesses) : elle induit une idée de transformation (de progrès ?), plus à même d’assurer, sur le long terme, l’établissement d’une société propice aux activités économiques. Ainsi, les pays producteurs de pétrole ont vu leur richesse augmenter avec la hausse sans précédent du prix du baril, sans pour cela connaître un réel développement (accès à l’eau potable, à une alimentation équilibrée, à l’éducation, aux soins médicaux, à la démocratie, etc.). En Afrique, qui fournit environ 11 % de la production pétrolière et détient quelque 9,4 % des réserves mondiales, « l’argent du pétrole s’évapore dans la savane [et] ne conduit pas au développement économique », observe Jean-Marie Chevalier2, professeur à l’université Paris-Dauphine et directeur au Cambridge Energy Research Associates. Il constate également que, sur ce continent, les indicateurs de développement des pays producteurs ne sont pas meilleurs que ceux des pays importateurs.
Le Nigeria, par exemple, n’utilise qu’une infime part de la manne pétrolière pour améliorer le sort de ses millions de pauvres, et, de leur côté, « les Tchadiens ne comprennent par pourquoi le pétrole augmente, mais pas leur niveau de vie », expliquait Géraud Magrin, docteur en géographie au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), lors d’un colloque à Paris de l’AFD (Agence française de développement). De plus, il est facile d’observer que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des pays dépourvus de ressources minières, comme le Japon, la Corée du Sud, etc., se sont plus développés que ceux disposant d’abondantes ressources de matières premières.
RSE
Le développement durable a trouvé de nombreuses appellations dérivées : développement responsable, RSE ou responsabilité sociale, voire sociétale, des entreprises. Qu’est-ce, au fond, que la RSE? C’est «l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes », indique le Livre vert Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, de la Commission européenne.
Cette définition montre que si l’expression en anglais mentionne la seule responsabilité sociale, la RSE couvre aussi les aspects environnementaux et qu’elle implique pour l’entreprise d’intégrer les préoccupations socio-environnementales dans sa stratégie et dans ses opérations commerciales. La RSE, qui relève essentiellement d’une démarche volontaire, met en jeu la manière dont les entreprises interagissent avec leurs différentes parties prenantes, les stakeholders, tant internes (employés, syndicats, CHSCT, comité d’entreprise, conseil d’administration…) qu’externes (clients, voisinage, associations, organisations non gouvernementales, collectivités locales, pouvoirs publics…).
Définition plus pratique…
Et le développement durable au quotidien dans une entreprise, c’est quoi au juste dans les faits ? Bien sûr, une bonne stratégie de développement durable encouragera à développer des actions dans ses trois domaines : l’environnement, le social-sociétal et l’économique.
Et si possible de façon transverse. Mais bien avant de mettre en œuvre ces actions indispensables à l’obtention de résultats tangibles, il faut surtout comprendre que le développement durable au sein de l’entreprise sera moins un changement technique qu’un changement de comportement. On pourrait même parler ici de changement culturel. Cela signifie quoi concrètement ?
Exemple : je suis manager, je construis un projet, j’élabore une décision. Eh bien, dans le même temps précisément où j’effectue cette action, j’évalue ses éventuelles conséquences négatives sur l’environnement, le social-sociétal et l’économique et je modifie, si besoin est, mon projet ou ma décision, afin de réduire, voire d’éliminer, cet impact négatif sur l’un, les deux ou les trois piliers du développement durable.
On est donc bien là dans une logique de posture et non pas dans une quelconque activité à caractère technique. Bien sûr, pour impacter moins négativement l’environnement, par exemple, je serai sans doute amené à faire au final des choix techniques. Mais, ce sera seulement dans un deuxième temps. La même démarche vaut aussi pour l’employé dans les gestes qu’il effectue dans le cadre de ses tâches quotidiennes. Avec le développement durable, on réinvente d’une certaine façon les modes de fonctionnement de l’entreprise, la manière dont on élabore les projets, dont on prend les décisions, dont on effectue ses gestes, y compris les plus simples (je sors des toilettes : j’éteins la lumière).
Le patron d’abord
Tout changement de comportement, tout changement culturel, pour qu’il soit réussi, nécessite impérativement de mener en amont des actions de sensibilisation des personnes ou des équipes concernées.
En clair, des actions d’information, de communication et de formation au développement durable, à la responsabilité sociale d’entreprise. On devine facilement ici l’importance de l’implication des managers dans ces indispensables actions de sensibilisation. À commencer par le premier d’entre eux au sein de l’entreprise, à savoir son principal dirigeant.
En cela, le développement durable est un peu comme la communication institutionnelle (ou d’image) : si le patron n’adhère pas à la signature de marque de son entreprise, il y a grand risque que la communication ne soit pas relayée au quotidien. Pour le développement durable, c’est la même chose : si le patron lui-même n’est pas convaincu, s’il n’adhère pas à l’idée que le développement durable sera un levier de performance pour son entreprise, c’est très mal parti, c’est même quasiment injouable.
Tous des patrons clairement et publiquement engagés pour le développement durable et dont les entreprises, certes parmi de nombreuses autres, ont adopté des politiques ad hoc réussies. Tout cela montre que, quitte à commencer des actions de sensibilisation des managers au développement durable, il vaut mieux commencer par la tête et sensibiliser ou former d’abord le patron et les membres du comité de direction et ainsi de suite, en allant de la tête vers la base, et non l’inverse.
La bataille politique, au sens profond du terme, qui sera à mener en direction des managers devra, avant tout, être de convictions afin de leur faire comprendre que le développement durable n’est pas pour eux une action à faire en plus – dans une journée de travail déjà bien remplie ! –, mais qu’il s’agit là d’un excellent moyen pour atteindre plus vite et dans de meilleures conditions leurs objectifs professionnels, y compris commerciaux.
Notis©2012
Sources :
Patrick Widloecher &Isabelle Querne: Le guide du développement durable en entreprise
(Eyrolles & Les Echos Editions)