La langouste, parce qu’elle est dotée d’une carapace, peut se passer de colonne vertébrale. Mais si on lui enlève sa carapace, il ne reste plus rien. Tous les dirigeants sont menacés par « le complexe de la langouste ».
En effet, si on compare le statut et le pouvoir du Dirigeant à la carapace qui peut le protéger, il risque d’être sans cesse piégé par une attitude défensive dans laquelle il peut être tenté de s’enfermer.
Le dirigeant doit se constituer la colonne vertébrale que peut représenter sa « sécurité ontologique »; faute de quoi, il sera absorbé par les soucis de protection de son territoire, de son statut, de son pouvoir. Il ne pourra mettre au service des autres l’ensemble de ses facultés, du fait de sa position essentiellement défensive.
Le potentiel et la limite de l’organisation sont déterminés par le potentiel et la limite du Dirigeant qui en a la charge. Entrepreneur, manager, mandataire social, créateur d’entreprises, responsable de secteur d’un grand groupe, responsable d’une PME, PMI ou d’une multinationale, le Dirigeant se voit confronté à sa capacité de changement personnel en face du chaos, du stress, de l’incertitude, de la complexité des enjeux et de la multiplicité des relations auxquels il a à faire face.
Certains responsables qui ont su, par leur capacité à gérer leur stress et leur sérénité, à devenir, au-delà de leur rôle de décideur, des « hommes-ressource » pour leur environnement ou des « responsables porteurs de sens », transforment complètement leur rapport à l’entreprise et deviennent pour leurs partenaires ou leurs collaborateurs des phares et des leaders recherchés.
LA SOLITUDE DU CHEF
Le Dirigeant risque de se laisser enfermer dans plusieurs paradoxes. Plus il est en difficulté, moins il peut le montrer ; plus il a grandi, plus il se croit obligé de continuer à se débrouiller seul ; plus il est dans une situation de responsabilités, plus il est fantasmé par les autres et par lui-même.
Dans ces conditions, descendre de son socle devient difficile et même lorsqu’il le souhaite sincèrement, les autres ne supportent pas toujours que « le patron doute »… et c’est donc le paradoxe de la solitude qui l’enferme : plus il est seul et a besoin d’aide et moins il peut, paradoxalement, parfois en demander. Ainsi, la question de l’aide à laquelle il a besoin d’avoir recours et celle de son développement deviennent primordiales.
Le Dirigeant, quel que soit son niveau, en général après un parcours fait d’études, de stages et/ou de diverses expériences, est mis en situation au-delà de son poste plus ou moins clairement défini par celui qui l’a embauché s’il s’agit d’un manager, ou par celui qu’il s’est donné s’il s’agit d’un créateur, mandataire social, et en fait se trouve dans une complexité qui l’amène à gérer des enjeux multiples : externes à l’entreprise bien évidemment (environnement, finances, marchés, concurrence…) et internes (fonctionnement de son organisation avec tous les aspects techniques, humains, financiers, managériaux qui en découlent).
Il ne saurait être compétent dans tous les domaines et être à la fois :
• le spécialiste expérimenté d’un ou plusieurs métiers,
• le manager capable de gérer les processus d’alignement et de mise en cohérence de l’ensemble du système.
• le leader capable de définir les objectifs, les valeurs et les finalités de l’action : en somme, le visionnaire entraîneur d’hommes.
Toutefois, à son niveau, par la formation qu’il a reçue, ses expériences précédentes et surtout la mise en œuvre de son énergie appliquée à la prise en charge de ses enjeux, il se « débrouille » dans l’incertitude, l’information toujours insuffisante et dans la pression du temps qui ne lui permet pas le plus souvent d’avoir tout le recul qu’il souhaiterait. Bienheureux s’il échappe au complexe de l’« imposteur » (« jusqu’à présent j’étais le seul à savoir que j’étais nul et je suis arrivé à le cacher – maintenant que je prends ces nouvelles responsabilités, ça va se voir !…).
En face de ces manques et de ces difficultés, il pourra heureusement trouver un certain nombre de réponses.
LES SOLUTIONS
Les trois solutions qui s’ouvrent au dirigeant sont; la formation, le conseil et le recours hiérarchique, ou le management dual ou collégial.
• La Formation continue ou ponctuelle
Pour les Dirigeants, le recours à un cycle de formation tel qu’il se pratique dans des Universités d’Eté, dans des programmes MBA ou au CPA ou dans des cycles plus ou moins sur mesure, sont des occasions irremplaçables de se ressourcer et d’acquérir les compétences à la fois techniques et managériales qui les font progresser. Au-delà même des compétences, le recyclage et l’ouverture sur l’extérieur en sont les fruits principaux : ainsi, il en ressort une sorte de position « méta » permanente chez le Dirigeant et une ouverture au changement qui pourrait s’avérer salutaire.
Cependant, la charge de travail, le temps toujours compté et les difficultés à se trouver avec des personnes en formation qui ne sont pas de son niveau ou qui n’ont pas les mêmes préoccupations, font que souvent les Dirigeants se privent de fait de l’accès à des formations dont bénéficient par contre leurs Collaborateurs.
• Le Conseil
Le recours au conseil en matière stratégique, financière, marketing, juridique … peut être, au-delà de l’apport purement technique, une ouverture irremplaçable et porteuse d’un véritable développement pour le manager qui acquiert de nouvelles façons de penser élargissant ainsi sa « conscience managériale ».
• Le Management dual ou collégial
Une troisième forme de ressourcement repose dans le management dual ou collégial qui peut être, pour le responsable, le fait d’avoir recours à sa hiérarchie ou à ses différents partenaires, et pour le manager mandataire social à son actionnaire. Il peut parfois heureusement trouver par exemple dans son Conseil de Surveillance un soutien, une mise à distance stratégique et une coopération qui s’inscrit dans une véritable alliance. Le manager tenu par l’opérationnel et les rythmes des métiers peut ainsi trouver dans son actionnaire, une mise à distance des problèmes, un recul, un soutien et un élargissement du champ stratégique et du regard sur l’environnement financier, médiatique et du public extrêmement précieux.
Il s’agit de l’aide apportée par un accompagnateur externe ou interne à l’entreprise, pour la résolution de difficultés professionnelles en vue du développement durable de la personne. En effet, ce recours (ou secours) constitue pour le Dirigeant un espace de réflexion, de feedback, d’élaboration de scénarios, de balayage de ses angles morts, de test de ses propres idées, de « protection » même (on l’avertit des dangers) et de « permission » (ou l’encourage à franchir des étapes et on lui permet de sortir des peurs ou des doutes qui le freinent), qui vont lui permettre progressivement d’élaborer et de trouver lui-même ses propres solutions. Ceci est indispensable, car une solution clefs en main ou une décision qui vient de l’extérieur, n’a évidemment pas du tout la même force et le même poids que celle intériorisée et décidée par la personne elle-même qui devra le mettre en œuvre.
Parmi les autres formes de ressourcement et de développement des Dirigeants, se trouve bien évidemment la formule des Clubs Patronaux, dont il existe heureusement depuis quelques années une floraison. C’est l’occasion, à la fois de se retrouver entre Dirigeants et de sortir de sa solitude, d’acquérir des connaissances, des éléments nouveaux venant de l’extérieur ainsi qu’un accompagnement par un animateur qui lui permet de poser ses propres questions autour du thème choisi.
Le Dirigeant peu à peu perçoit mieux à quel point le développement de son entreprise passe par le développement de ses hommes et de lui-même, et réciproquement, son développement passe par celui de son entreprise.
LE DEVELOPPEMENT PERSONNEL
Au-delà des situations formalisées que nous venons d’évoquer, ce qui est le facteur du développement le plus important évidemment c’est le « métier », c’est-à-dire l’ensemble des situations auxquelles le Dirigeant doit faire face et la façon dont il aura agi, réagi, pro-agi, dans ces situations. Comme on le dit, « le métier c’est la seule chose qui ne s’apprend pas ».
Il va falloir donc cette expérience du réel et du terrain. Le fait d’avoir été mis en situation dans le cadre d’une entreprise en plein développement ou de crise, ou de rupture, de fusions, d’OPA … par exemple, peut être irremplaçable. Il est clair que cette situation managériale a été à elle seule l’occasion d’un développement managérial et personnel du Dirigeant unique pour chacun. Aucune école n’aurait pu fournir cela.
Avoir travaillé dans le sillage d’un grand patron peut être en fait la meilleure école et la meilleure façon non seulement d’intégrer les compétences mais aussi une façon de voir le monde, de réagir, de se constituer en tant qu’homme.
La personne du Dirigeant doit développer une cohérence et un équilibre qui tient compte de toutes les faces de cette réalité. Rappelons la métaphore de Stephen Covey sur la « poule aux œufs d’or ». Si on attend de la poule qu’elle produise de magnifiques œufs d’or, il sera très important que l’on s’occupe d’elle avant de s’occuper de ses œufs.
Il ne faut donc pas se contenter de l’acquis environnemental et expérimental. Il est en effet important que le Dirigeant aille jusqu’à « travailler » sa dimension identitaire. C’est, en fait, la partie la plus intime, qui est au-delà du système de défense et de blocage que vit tout être humain : la partie inconditionnellement positive qui existe en tout homme, du moins telle est notre croyance.
Le développement de cette partie positive en nous-mêmes est peut être justement le lieu, le socle sur lequel peut se regrouper tout le reste de l’architecture de l’identité de la personne.
Il importe en tout cas pour le Dirigeant d’apprendre à entrer en contact avec cette partie-là, qu’elle soit connotée de valeur humaniste, de valeur ancrée dans des espérances ou des croyances politiques ou qu’elle soit nourrie d’une vie spirituelle, qu’il s’agisse de méditation ou de prière ou de l’appartenance à une confession particulière, dans tous les cas, nous croyons que le Dirigeant comme tout être humain, ne peut que gagner à accueillir cette dimension au plus profond de lui-même qui est sans doute la seule où il pourra trouver le repos de son âme, condition du repos de son esprit et de sa sécurité ontologique.
En conclusion face aux enjeux que le Dirigeant se doit de prendre en compte, le résultat dU travail de développement managérial est fortement conditionné par le développement plus intérieur de la personne, ce que Vincent Lenhardt appelle le « Développement Personnel » au sens le plus large. L’important dépend de l’essentiel.
Notis©2012