Comme le souligne Ahmad Jamal dans ses propres lignes de présentations, « Nature » sort des sentiers battus, hors et en dehors du format orchestral qui l’a fait émerger du lot des pianistes talentueux, mais hélas! méconnus du grand public.
Ce qui rend La « Nature » de Jamal encore plus inhabituelle, c’est la présence de tambours d’acier. Othello Molineaux joue du « steel drums » plus dans le style d’un vibraphoniste, comme s’il comprenait bien plus le langage du Be-bop de Harlem que les rythmes de ses origines, les îles caraïbes.
Le son familier et sobre avec lequel Ahmad Jamal a attiré l’attention de Mile Davis est encore largement, naturellement, mis en évidence ici.
Les compositions choisies par le pianiste pour mettre en vedette les percussions métalliques ont tendance à avoir des lignes mélodiques plutôt austères – comme pour limiter l’épanouissement potentiel de la percussion. A l’évidence, Ahmad Jamal se contente et se réjouit d’entendre -et nous avec- battre le fer de la mélodie. Cela est particulièrement parlant à l’écoute de l’un des meilleurs morceaux de l’album, « If I Find You Again ».
Comme toujours Ahmad Jamal montre qu’il est Le Maître dans l’art de rendre la dissonance consonante. Il peut paraitre incroyable qu’un pianiste puisse improviser avec une telle complexité rythmique et harmonique, même si cela semblerait, pour certains puristes, découler de la nature du Jazz.
L’autre pièce maitresse de l’œuvre est le thème de Be-bop passionnant, « Devil in My Den » où Ahmad Jamal met de coté les tambours en métal pour installer le saxophone de son vieil ami de Pittsburgh, Stanley Turrentine. Comme à l’accoutumé, le saxophone indique le thème avant de prendre les commandes. Mais chemin faisant, les prouesses musculaires de Stanley Turrentine sont sagement recadrées par le soutien agressif du piano de Jamal. Les deux prestations, mises ensemble, ressemblent moins à un match d’entraînement qu’à deux esprits créatifs qui considèrent et appréhendent la conquête de l’espace de l’autre.