Le débauchage est une pratique répandue. Il est en effet logique, lorsqu’on cherche un candidat qui possède une connaissance du secteur, d’aller prospecter chez les concurrents. Cela devient encore plus vrai si l’on requiert du candidat un carnet d’adresses ou la maîtrise d’une technologie pointue : il sera rapidement opérationnel et rentable plus rapidement. Mais, ce genre de recrutement est délicat à mener et peut vous… mener devant le tribunal, voire en prison.
Une pratique rependue
L’employeur dispose, en principe, d’une totale liberté en matière d’embauche ; il a le choix de ses futures salariés en raison de la liberté d’entreprendre. C’est en vertu de cette liberté constitutionnellement consacrée que l’employeur définit le profil du poste à pourvoir, opte pour une méthode de recrutement et prend la décision finale. Par conséquent, rien ne l’empêche de piocher dans les rangs de son concurrent.
Ce mode de recrutement est fréquent dans des marchés ultra concurrentiels, comme les SSII ou l’automobile. En claire, les secteurs en pénurie de talents, les niches pointues où les acteurs sont rares sont autant d’environnements propices au débauchage. Les cibles privilégiées ? Les commerciaux, les experts pointus, les ingénieurs en R&D, les dirigeants. A l’inverse, les fonctions support (finance, juridique, ressources humaines…) sont moins sensibles.
Recruter le salarié d’un concurrent a des avantages. Il a la bonne expérience, l’expertise technique, la connaissance des clients, et est vite opérationnel. De plus, le bouche-à-oreille facilite la tâche. C’est sur la recommandation d’un fournisseur commun qu’un employeur va s’intéresser au chargé d’affaires d’un de ses rivaux: « Il y a là un gars pas mauvais, qui n’a pas l’air d’avancer autant qu’il pourrait. »
L’employeur est donc tout à fait autorisé de débaucher le salarié d’un concurrent… si cela est fait dans les limites juridiques. Or celles-ci ne sont pas toujours faciles à apprécier.
Une pratique risquée
Certains cas de débauchage peuvent toutefois mal tourner. L’une des affaires les plus célèbres est celle de Jose Ignacio Lopez, directeur des achats de General Motors passé chez Volkswagen en 1993. Evidemment, il connaissait tous les prix, ce qui est particulièrement critique dans ce secteur. Mais il est peut-être aussi parti avec des informations confidentielles. Depuis accusé d’espionnage industriel par la justice américaine, il aurait effectivement emporté avec lui des renseignements confidentiels, dont les plans d’une nouvelle usine. De même, le tribunal de Francfort, statuant en référé, interdit à Volkswagen toute tentative de « débauchage systématique », sous peine d’une forte amende et de six mois d’emprisonnement.
La concurrence déloyale
L’employeur peut voir sa responsabilité mise en cause si ses méthodes relèvent de la concurrence déloyale. Celle-ci se reconnaît à son intention : détourner la clientèle du concurrent, connaître ses secrets de fabrique, le désorganiser, notamment. Elle peut se manifester de plusieurs façons : débaucher un grand nombre de salariés à la fois, offrir des avantages beaucoup plus importants notamment en termes de rémunération, proférer des insinuations quant à la moralité des dirigeants ou à des pratiques jugées douteuses ayant cours dans l’entreprise…
C’est donc plus l’intention que les moyens mis en œuvre qui permet de décider si une pratique de débauchage relève ou non de la concurrence déloyale.
Dommages et intérêts, rupture du contrat de travail…
L’entreprise qui ne procède pas dans les règles s’expose évidemment à un certain nombre de risques. Plus précisément, le risque encouru va dépendre de la demande du concurrent lésé. Il peut s’adresser au tribunal de commerce pour ‘faire cesser un trouble manifestement illicite’, auquel cas le juge peut ordonner au nouvel employeur de rompre le contrat de travail. S’il demande réparation pour le préjudice financier et commercial, il peut obtenir des dommages et intérêts. Pour mesurer le préjudice subi, les juges évalueront surtout la baisse du chiffre d’affaires causée par la perte du ou des salariés débauchés, voire l’augmentation, en parallèle, du chiffre d’affaires de leur nouvel employeur. Le coût de recrutement pour compenser les départs pourra également être pris en compte.
Le débauchage peut être assimilé à de la corruption
Mais le nouvel employeur – comme le salarié débauché – risque également des sanctions pénales. En effet, le Code Pénal punit la corruption de salarié active et passive de 5 ans d’emprisonnement et 5 000 000 de francs Cfa d’amende. Ladite corruption est définie comme « le fait, par quiconque, de proposer (ou, pour le salarié, de solliciter, NDLR), sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, à une personne (…) des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, afin d’obtenir qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de son activité ou de sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles. »
Une pratique à manier avec précautions
Etant donnés les risques qui pèsent sur les débaucheurs, mieux vaut prendre quelques précautions. L’une d’elles est très simple : Certaines décisions de justice considèrent qu’il n’y a pas débauchage si d’autres candidats ont été reçus. Donc par prudence, il vaut mieux le faire.
Mieux, par prudence, si l’on a repéré le collaborateur d’un concurrent, il est conseillé de faire appel à un cabinet de recrutement pour le solliciter. Il y aura un intermédiaire et en cas de souci, l’entreprise sera moins visible. De plus, le cabinet pourra proposer d’autres candidats qui conviendront peut-être encore mieux. Compter tout de même 20 à 25 % du salaire annuel brut du nouvel embauché pour rémunérer le chasseur de têtes.
Attirer sa cible avec les bons arguments
Pour ce qui concerne le chasseur de têtes, dont les clients sont principalement des start-up à la recherche d’un cadre dirigeant, les arguments qui peuvent décider une « cible » sont l’autonomie qu’elle va gagner, les qualités d’entrepreneur qu’elle va pouvoir développer, mais également la possibilité qui peut lui être offerte de construire son capital.
« Et surtout pas le salaire ! C’est la pire façon de faire venir quelqu’un avec la renommée de l’entreprise. A la fin de la discussion, on peut envisager d’ajouter une prime au salaire proposé pour décrocher la signature, mais c’est tout. Le salaire n’est pas une bonne motivation. Le poste proposé doit constituer une réelle opportunité, réalisant l’adéquation entre l’ambition du candidat, son potentiel et le potentiel du poste.
A éviter absolument : La clause de non concurrence
Si l’on ne veut pas se voir taxer de recrutement hostile, un expert en la matière, rappelle les pratiques qui lui sont attachées : « La peur (la rumeur d’un plan social), l’ambition (un poste aux responsabilités plus importantes), l’argent (le moyen le plus utilisé) ou les sentiments (on utilise une nouvelle recrue en lui demandant de parler de sa nouvelle entreprise à ses anciens collègues).
Point épineux par excellence lors du débauchage d’un salarié, l’existence dans son contrat de travail d’une clause de non-concurrence ne doit pas nécessairement conduire au forfait. Là encore, un certain nombre de bonnes pratiques sont à adopter.
*S’assurer que le salarié cible n’est pas lié par une telle clause.
Il faut demander au salarié que l’on cible si son contrat de travail comporte une clause de non-concurrence. Et éventuellement, lui demander un certificat de travail qui mentionne l’existence ou non d’une clause de non-concurrence dans son contrat. Le certificat de travail ne comporte pas cette information, mais il est possible de la faire ajouter. En procédant ainsi, on pourra moins reprocher sa négligence au nouvel employeur.
Cependant, s’il embauche un salarié sans être au courant que celui-ci est lié à son ancienne entreprise par une clause de non-concurrence, l’employeur se trouve tout de même dans une situation à risque. « Il aura alors tout intérêt, dès qu’il s’en rendra compte, à licencier le salarié qui lui a menti », conseille un praticien du Droit.
*Essayer de lever cette clause
Enfin, le salarié peut tout à fait demander à son employeur de lever cette clause. Les entreprises se connaissent et peuvent décider de se rendre ce service. C’est d’autant plus vrai lorsque la clause en question est mal rédigée ou plus tout à fait dans les règles actuelles.
En effet, les conditions de validité des clauses de non-concurrence sont de plus en plus exigeantes. Celle-ci doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, être limitée dans le temps et dans l’espace et prévoir une contrepartie financière non dérisoire au profit du salarié, payée après rupture du contrat de travail. Si l’une de ces exigences n’est pas respectée, la clause n’est pas valable.
En revanche, si la clause est bien définie et conforme aux pratiques, bref si elle est valide et difficile à attaquer, il y a de fortes chances pour qu’on s’arrête là.
Notis©2012