Que savons-nous de l’état de la pauvreté, du revenu des ménages et de la croissance en Afrique sub-saharienne? La question, pourtant d’une importance capitale, fait cependant place à une réponse décevante : en vérité, nous ne savons rien ou pas grand chose ! Si les estimations sur les revenus et les statistiques de la croissance en Afrique sont dénuées de fondement certain, une grande partie de l’analyse du développement et les objectifs politiques sont tout autant dénuée de sens.

Les sauts statistiques

En Novembre 2010, l’office des statistiques du Ghana a annoncé qu’elle révisait le PIB du pays à la hausse : une majoration de plus de 60%. C’est dire que tout un pan de l’activité économique du Ghana, d’une valeur estimée à  13 milliards de dollars, avait été oublié dans les estimations précédentes. Après cette révision, toute une gamme de nouvelles activités réactivée artificiellement a été et prise en compte. En conséquence, le Ghana est passé soudainement du niveau d’un pays à faible revenu à celui d’un pays à faible revenu intermédiaire.

Fin 2011, le Nigeria a également annoncé une révision à la hausse de son PIB. Cette révision n’est, à ce jour, pas encore terminée. Mais, il est prévu que cette (re)prévision entraîne un saut de la même importance qu’au Ghana. Si le PIB double au Nigeria, consécutivement à cette nouvelle manipulation, cela signifiera que le PIB de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne devrait augmenter de plus de 15%. Ce qui serait un record dans l’histoire de la croissance économique mondiale.

Des dentitions économiques éclatantes

Ces révisions intempestives, causées par des changements de méthodes d’évaluation des comptes de la nation, ne peuvent que susciter confusion et incrédulité. Si nous savons si peu sur la croissance et les revenus au Ghana, l’une des économies les plus accessibles et les mieux étudiées en Afrique, comment pouvons-nous interpréter les données provenant des autres pays africains? A ce sujet, Shanta Devarajan, économiste spécialiste de l’Afrique à la Banque mondiale, parle de « tragédie statistique ».

Ces grands sauts de la statistique du Nigeria et du Ghana signifient qu’une grande partie de l’activité économique, déjà disparue depuis les années 1990, est ressuscitée selon la volonté des fonctionnaires nationaux. C’est une façon d’écrire ou de réécrire l’histoire économique du pays, par le truchement de la statistique. Cela signifie également que tout classement des économies africaines aujourd’hui basé sur le PIB ou d’autres instruments dérivés n’ont pas de sens.

Grâce  à ces manipulations des chiffres, de nombreuses économies africaines présentent une dentition plus éclatante que la réalité.

Les décisions erronées à la base

Malheureusement ces flux et reflux de données influent directement sur les décisions politiques. De nombreuses études universitaires sur l’économie africaine sont élaborées sur des chiffres non fiables et débouchent sur des conclusions erronées. Ces documents scientifiques, rédigés de bonne foi par des experts, sont des boussoles dont se servent les hommes politiques. Des conclusions scientifiques erronées qui débouchent alors sur des erreurs politiques extrêmement couteuses et des conséquences néfastes s pour la population africaine.

Les organismes de financement, comme la Banque mondiale et les pays donateurs, allouent des aides ou poursuivent des projets d’investissement en fonction des données macroéconomiques qu’on leur présente. Il n’est donc pas étonnant que, pour respecter le plan de convergence, les Etats Africains soient amenés à inventer, imputer et combler les écarts. De telles manipulations ne se font pas forcément dans l’intérêt de la population qui continue de souffrir le martyr. Dans la plupart des cas, les utilisateurs de ces données ne savent pas ou choisissent d’ignorer qu’ils sont induits en erreur et décident ou cautionnent des décisions inadéquates.

Face à cette mascarade économique généralisée, il est grand temps de mettre en place un autre système d’estimation et d’évaluation de l’économie africaine, basée sur des données plus concrètes et plus objectives, élaborées dans la transparence par des organismes hors des contingences tropicales.

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